29.01.16 - 03.03.16
Texte de Ludovic Beillard & Coraline Guilbeau
JULIEN JOURNOUX CHEZ FABIAN from Fabian contemporary home on Vimeo.
On a demandé à Julien de faire une lampe.
Ce n’est pas tout à fait vrai, on lui a demandé une lampe et une danse. La lampe c’est l’objet que Fabian avait commandé à l’artiste comme chaque mois cette saison. La danse c’est purement personnel, la danse c’est Julien, et la danse elle aurait suffit comme exposition si chez Fabian on avait pas besoin d’objets.
Julien Journoux, une danse qui dépasse le rythme, une envolée, un excès de grâce, quelque chose qui termine mal à coup sur. L’assistance n’était pas préparé, l’assistance n’est jamais prête a recevoir la danse et le rythme n’est qu’un lointain souvenir.
Ne me parle pas de chorégraphie, je te parle de danse.
À deux semaines de l’exposition, Julien n’avait fournit ni lampe, ni danse.
On s’est inquiété, on s’est même dit qu’on allait annuler, que ça n’avait pas
de sens. C’est alors qu’on reçu un mot dans la boite au lettre de Fabian,
un mot qui nous narguait mais qui n’expliquait rien, puis un deuxième,
un troisième, une dizaine, toujours pas de lampe... J’ai appelé Julien en
insistant, j’avais besoin d’une lampe pour la cuisine. Il a répondu que la
lampe c’était ces mots.
Je me suis retrouvé comme un con, Julien avait contourné la règle.
Je l’ai rappelé à nouveau et j’ai tenté d’insister du côté de la danse cette fois ci. Si julien ne voulait pas produire de lampe alors il voudrait surement danser, on allait pas seulement imprimer ces mots sur des feuilles de papier et dire que c’était une danse, et dire que c’était une lampe.
Je l’ai rappelé à nouveau et j’ai tenté d’insister du côté de la danse cette fois ci. Si julien ne voulait pas produire de lampe alors il voudrait surement danser, on allait pas seulement imprimer ces mots sur des feuilles de papier et dire que c’était une danse, et dire que c’était une lampe.
Danse, danse à nouveau comme tu l’as fait il y a un an au milieu du salon, danse encore, captive l’attention des cuisiniers de l’Ultime Atome, arrête les passants de ton pas. Danse encore mon beau, danse encore pour moi. Julien a continué a m’envoyer ces mots, une cinquantaine. Il m’a dit qu’il ne viendrait pas danser, qu’il fallait que je fasse avec ses exigences aussi. À quelques jours de l’exposition, j’ai reçu sur ma boite mail personnelle une vidéo où l’on pouvait voir Julien danser dans son appartement.
Depuis, je tente d’apprendre les pas pour vous faire cette danse.
Aucune danse ne suffira à vous livrer Julien Journoux.
Une fête de trois jours ça se prépare à l’avance.
L’exposition Julien Journoux chez Fabian s’articule sur plusieurs niveaux et
présente à cet égard une collection de diapositives projetées sur l’une des
fenêtre de l’appartement, couplée à une danse.
Pour la première fois, chez Fabian, pour célébrer l’arrivée de la nouvelle
acquisition de la collection, les règles changent. Le rdv que nous promet
Julien Journoux a affaire avec l’idée d’une expérience.
Lors de l’exposition, il y aura tout autant à voir à l’intérieur qu’à l’extérieur (si ce n’est plus) de l’appartement Fabian.
Depuis l’extérieur, sur la fenêtre qui porte habituellement le nom de
l’artiste exposant pour le mois, sera projeté par diapositives, les cinquante
messages reçus ces derniers jours. Ces messages adressés personnellement
à Fabian se destinent dès lors à l’ensemble du quartier.
Seuls, l’un après l’autre, les spectateurs entreront dans l’appartement
comme on passe de la salle de cinéma à la cabine de projection, pour
découvrir le temps d’une minute dans la pénombre de l’appartement,
l’interprétation dansée de l’une des phrases projetées.
C’est certain, danser seul dans son appartement peut assez vite mener à
l’élaboration de mouvements s’apparentant au culturisme ou au fitness,
activité domestique hautement dynamique s’il en est.
Les fragments de phrases projetées ne sont pas à comprendre comme des
énoncés, mais comme la collecte d’expressions glanées ces derniers jours
au hasard de lectures, prélevées à la volées, parfois plus confidentielles,
et bien souvent révélatrices d’une relation amicale forte entretenue entre
Julien et son ami.
Avec Julien Journoux, il est toujours question, au prime abord d’un
rapport particulier à l’autre : l’autre à qui il décide de s’adresser, l’autre
avec qui il tache d’entretenir un lien, l’autre à travers duquel il parvient à
éprouver la relation, comme un rapport entre deux tonalités.
Dans Le différant en question (2012) par exemple, Julien et son ami
Thomas sont assis l’un en face de l’autre, aux extrémités d’une balançoire
à bascule. Pour conserver l’équilibre de leur position, ils doivent à tour de rôle s’avancer ou s’éloigner l’un de l’autre. La performance s’achevant par
l’épuisement de leur capacité de résistance.
À plusieurs reprises, Julien s’est intéressé aux possibles de ses relations
affectives par le biais des divers moyens de communications mis à sa
disposition. Pour l’exemple, séparé de son amie Leslie par plusieurs km
durant quelques mois, ils se sont échangés une soixantaine de lettres,
à raison d’un envoi par jour (par réseau postal). Y est lisible alors
l’interrogation des deux auteurs sur l’impact que peut avoir un pareil
éloignement dans le maintien d’une relation, sur la possibilité de la
nourrir, éventuellement de la rendre plus précieuse (Eugraphie, 2012).
Julien Journoux s’en explique pour cela avec justesse :
« Cette relation qu’entretient l’homme à son semblable m’apparaît fondamentale. La relation d’amitié s’érige dans l’expérience de l’altérité, de l’être face à un autre, ce qui se crée dans cet intervalle n’est relatif qu’à ces deux êtres. Nous main-tenons cette affection mutuelle en cultivant cette intervalle, cet espace entre soi et l’ami. Au-delà de questions de générosité mutuelle ou du soin que l’on apporte à ses amis, je mets le langage au centre de leur connexion et l’habitude à dialoguer ensemble comme moyen d’élaboration de la structure amicale. La question de ce qui se produit dans l’entre, dans l’intervalle de la relation, est le lieu privilégié de mon raisonnement car c’est dans l’intervalle qu’apparaissent les connexions.»
« Cette relation qu’entretient l’homme à son semblable m’apparaît fondamentale. La relation d’amitié s’érige dans l’expérience de l’altérité, de l’être face à un autre, ce qui se crée dans cet intervalle n’est relatif qu’à ces deux êtres. Nous main-tenons cette affection mutuelle en cultivant cette intervalle, cet espace entre soi et l’ami. Au-delà de questions de générosité mutuelle ou du soin que l’on apporte à ses amis, je mets le langage au centre de leur connexion et l’habitude à dialoguer ensemble comme moyen d’élaboration de la structure amicale. La question de ce qui se produit dans l’entre, dans l’intervalle de la relation, est le lieu privilégié de mon raisonnement car c’est dans l’intervalle qu’apparaissent les connexions.»
Pour suivre sur cette même logique, Temp(s) (2011-2012) est un bel
exemple de défrichement et d’exploration de cet espace rencontré à deux
dans l’intervalle. Cette édition consiste en la retranscription minutieuse
de tous les sms que Ludovic et Julien se sont envoyés le temps d’un été,
chaque matin, à propos du temps qu’il faisait au moment où ils arrivaient
sur leur lieu de travail. Parler du temps qu’il fait peut s’avérer superficiel,
mais c’est communément ce vers quoi on s’incline naturellement pour
entamer une discussion. Pour Bye-bye (2013), il réalise trois cartes postales
quasi identiques (la mention «bye-bye» déposée sur la photographie d’un
ciel) qu’il distribue à trois de ses amis partant pour le Pérou. Les a t-il
finalement reçues ? Leurs contenu l’a t-il satisfait, dérangé, déçu ? Nous
n’en saurons rien.
Julien Journoux est adepte des formes protocolaires. Depuis deux années
déjà, chaque 18 mars, il sollicite l’ensemble des contacts de son répertoire
téléphonique par un bref sms, les invitant à transmettre la photographie
du ciel au moment et à l’endroit où ils se trouvent, en guise de cadeau
d’anniversaire. Julien collecte ensuite les ciels reçus ce jour là, un geste lui
permettant sans doute de restreindre la distance physique qui le sépare
de ces autres auquel il tient. S’il est si attaché à l’ambiance climatique
c’est parce qu’il a pleinement conscience que l’environnement qui
nous entoure, quel qu’il soit, affecte considérablement nos expériences
sensibles.
Amoureux des formes conceptuelles, de l’idée d’un retrait ou d’une soustraction plutôt que d’un ajout, les œuvres de Journoux ont ceci de commun que leur force et leur poésie se déploie dans quelque chose de ténu, sans doute proche de ce que l’on entends par infra-mince.
Figure emblématique du retrait s’il en est, Bartleby a longtemps été
objet de fascination pour Julien Journoux. En 2013, Julien prends sa
plume et recopie mot après mot l’intégralité de la nouvelle de Melville,
directement sur le livre de poche qu’il possède, après avoir au préalable
effacé au Tipp-Ex l’original (Bartleby sur lui-même, 2013-2014).
Là encore, il explique que cette posture d’effacement et de résistance (aux
règles imposées) trouve sa pleine puissance dans cette intervalle animée
par les amis :
« (...) l’amitié, cet espace que je désire voir comme l’espace le plus créateur et le moins restrictif, et également sur ce retrait face aux principes de la société.»
« (...) l’amitié, cet espace que je désire voir comme l’espace le plus créateur et le moins restrictif, et également sur ce retrait face aux principes de la société.»
Dans leurs simplicités radicales les œuvres de Journoux proposent une
attention démesurée au concept d’adresse, cherchant à faire durer cette
expérience en soi et chez l’autre.
Le soir de l’exposition, la seule source lumineuse sera celle de la
visionneuse de diapositives, projetant les phrases reçus au compte goutte
ces derniers jours par notre ami.
Ludovic Beillard & Coraline Guilbeau
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